Une Part d’Ombre (2018)

Réalisé par : Samuel Tilman

Ecrit par : Samuel Tilman

Avec : Fabrizio Rongione, Natacha Regnier, Baptiste Lalieu, Myriam Akheddiou, Christophe Paou, Yoann Blanc

Avertissement : Une Part d’Ombre n’est pas un film d’horreur. Il est présenté comme un thriller, mais il s’apparente plus à un drame. Alors pourquoi le critiquer sur ce site, vous demandez-vous ? Et bien pour réparer une injustice. Ce film est excellent, les critiques sont bonnes et la réaction des spectateurs est globalement positive. Pourtant, il n’est présenté presque nulle part en Belgique. Dans la province du Luxembourg, aucun cinéma ne l’a présenté. Aucun ! Alors qu’on nous dit d’encourager la culture du pays en allant voir des films faits ici, les principales œuvres présentées en salles sont soit des blockbusters américains, soit des comédies françaises tellement indigestes que ça me fait physiquement mal d’en voir ne serait-ce que les bandes-annonces. C’est honteux ! On peut toujours me dire que la province du Luxembourg est une vaste campagne et qu’il aurait été étonnant de le voir arriver ici. Mais, même dans des provinces plus peuplées comme Namur ou le Brabant wallon, il n’était projeté que dans quelques salles. Chose encore plus étonnante, la salle dans laquelle je me trouvais, à Louvain-la-Neuve, était pleine ! Alors, pourquoi ne pas le diffuser partout dans le pays ? N’allez pas me dire qu’il n’y a pas de public pour aller le voir, je ne le croirais pas !

David (Fabrizio Rongione) est professeur de théâtre. Il passe une partie de ses vacances d’été dans un chalet en France accompagné de sa famille et de ses amis. La veille de leur départ, un meurtre est commis dans le village à proximité et un témoin aurait aperçu David entrer dans la voiture de la femme assassinée. D’abord témoin principal, David devient rapidement suspect numéro 1 dans cette affaire. Au fil de l’enquête, des éléments sont révélés et il s’avère que David n’est peut-être pas aussi net qu’il le prétend. En dépit de la présomption d’innocence, sa femme et ses amis vont commencer, l’un après l’autre, à douter de ses véritables intentions.

Tout d’abord, comme je l’ai dit dans l’introduction, Une Part d’Ombre n’est pas un thriller à part entière. Il y a certes une intrigue policière, mais elle est reléguée au second plan durant une majeure partie du film, laissant plutôt place aux nombreuses réactions des proches de David. Et c’est tant mieux comme ça puisque c’est ce qui constitue les meilleurs moments du film. Si on ne s’était concentré que sur l’enquête, on n’aurait eu droit qu’à un énième épisode de CSI. Au contraire, on ne voit pas les procédures judiciaires, les convocations, etc. On suit la descente aux enfers de David alors que tout le monde autour de lui le traîne dans la boue. On ne peut s’empêcher de se demander : « Qu’est-ce que j’aurais fait à leur place ? ».

Il faut dire que ce choix scénaristique n’aurait pas été aussi efficace si les dialogues n’avaient pas été écrits avec autant de justesse, autant d’authenticité. Pratiquement toutes les lignes semblent naturelles et issues de conversations réelles. Les amis semblent être de réels amis. Les familles semblent être de réelles familles. Le talent de tous les acteurs et figurants est exploité à son maximum. Par exemple, lorsque les amis de David sont assis autour d’un repas, tout le monde discute de l’affaire qui le concerne, puis la caméra se concentre sur les personnages de Baptiste Lalieu et de Myriam Akheddiou qui se disputent. Or, la discussion hors plan continue et on peut la suivre sans problème, car elle est réaliste. A de nombreuses reprises, on se retrouve face à ce genre de procédés qui fonctionne à merveille.

Non seulement Samuel Tilman surprend avec ses dialogues, mais sa réalisation mérite également qu’on s’y attarde. Il passe son temps à faire des gros plans de ses personnages, s’attardant sur leurs réactions alors que d’autres personnages hors cadre leur parlent. Ainsi, on ne voit jamais les enquêteurs questionner les témoins, ni les professeurs lors d’un conseil de classe, car on se concentre essentiellement sur un seul personnage à la fois. Cela peut paraître risqué de filmer d’aussi près les acteurs, mais ceux-ci percent l’écran par leur talent.

Les acteurs sont d’un naturel sans pareil. Fabrizio Rongione est extrêmement convaincant dans le rôle de David. Il tente de faire comme si de rien n’était, se contente de sourire, de blaguer sur le fait qu’il est un suspect à l’affaire, mais on sent que derrière ce masque, tout s’effondre. Même chose avec Natacha Regnier jouant sa femme, Julie. Elle personnifie à merveille ce personnage qui ne sait que croire dans toute cette histoire, devant choisir entre l’homme qu’elle aime, le père de ses enfants, ou bien la possibilité qu’il soit un meurtrier. La scène dans laquelle elle recommence à lui faire confiance dans un parc d’attractions est très forte : elle fait plusieurs gestes timides vers lui, avant de complètement s’abandonner à son bonheur, oubliant ses problèmes juste pour un instant. De plus, il ne faudrait pas oublier l’extraordinaire performance de Baptiste Lalieu (mieux connu sous son nom d’artiste, Saule) dans le rôle du meilleur ami de David. Il est étonnant que Lalieu réussisse à faire un aussi bon travail alors qu’il s’agit de son premier rôle. Il agit avec un naturel déroutant, comme s’il agissait de cette manière tous les jours.

Par ailleurs, tous les acteurs sont remarquables. Je ne serais pas surpris d’apprendre que plusieurs scènes ou dialogues ont été improvisés. Par exemple, lors d’une conversation entre David et Julie, leur bébé leur dit « Ça va ? ». Les deux acteurs réagissent naturellement à cette phrase imprévue et continuent leurs dialogues. Cette partie ne peut pas être planifiée et, dans de nombreux films, les comédiens auraient simplement ri et la scène aurait été recommencée. Pas ici. On reste dans la peau du personnage jusqu’au bout et c’est ce qui fait que le film est aussi réussi.

Pour ce qui est de l’enquête, même si elle est secondaire, elle reste intrigante. Il est d’ailleurs difficile de s’imaginer une fin satisfaisante puisque les deux possibilités qui s’offrent à nous sont : 1) il a tué la femme ou 2) il ne l’a pas tuée. Finalement, le film se termine sur une note plutôt grise qui satisfera tout curieux, sans tomber dans la surenchère, en restant sobre et en accord avec le reste du film.

C’est honteux, je vous dis ! Honteux qu’un film aussi réussi soit passé sous le radar de la plupart des gens. Honteux qu’on nous dise d’aller encourager les films belges, mais que ceux-ci restent inaccessibles. Honteux que des acteurs aussi talentueux ne soient pas plus connus. Honteux qu’un réalisateur capable de retranscrire à l’écran autant d’émotions n’aient pas la couverture médiatique à laquelle il a droit. C’est tout simplement honteux !

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